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  • D-M Gouin et M. Doyon

La gestion de l'offre des produits agricoles et les « faits alternatifs »

À l'aube d'une renégociation de l’ALENA, le système canadien de gestion de l'offre du lait et de la volaille (poulet, dinde, œufs) se trouve à nouveau sur la sellette. Certains suggèrent son abolition, que ce soit dans l'arène politique (cf. Maxime Bernier) ou dans celle des Think Tanks économiques (cf. IEDM). Il s'agit d'un débat qui resurgit à chaque négociation de libéralisation du commerce.

Le principal argument à l'appui de l'abolition de ce système porte sur les prix à la consommation des produits sous gestion de l'offre plus élevés au Canada qu'aux États-Unis. Cette prémisse conduit à conclure que son abolition résulterait logiquement en une baisse des prix. Le constat sur les prix et la prémisse sont-ils fondés?

Sans entrer dans les détails, rappelons que la gestion de l'offre permet un prix stable et adéquat aux producteurs en échange d’une discipline de production et d’un contrôle serré des importations. Un tel système conduit à une stabilité des filières concernées, tant au niveau de la production qui évolue pour l'essentiel en fonction de la demande, que des prix de la production jusqu'au consommateur. Pour l'illustrer, il suffit de référer à la diminution de l’offre de bœuf qui s’est reflétée sur les prix, les conduisant à des niveaux record à la production et à la consommation en 2015. Ainsi de janvier 2014 à juin 2015, le prix à la production au Canada avait augmenté de 48 % et celui à la consommation de 32 %. Sur la même période, le prix du fromage à la consommation avait augmenté de 5 % contre une diminution de 5 % pour le prix du lait à la production. Les amplitudes ne relèvent pas du même ordre de grandeur.

Mais la stabilité ne dit rien sur le prix à la consommation au Canada comparativement à celui qui a cours aux États-Unis. Pour ce faire, nous avons choisi d'utiliser des données d'observation réelle, c'est-à-dire des données issues du magasinage en ligne. En effet, plusieurs chaînes offrent la possibilité aux consommateurs de faire leurs achats en ligne, que ce soit IGA au Québec ou Safeway et d'autres aux États-Unis. Sur cette base, nous avons réalisé une semaine par mois, des comparaisons des prix réels en épicerie à Québec, Toronto et Washington D.C. Les items choisis correspondent aux formats et aux produits représentatifs des achats possibles en épicerie et le produit le moins cher de la semaine est sélectionné. Par exemple pour le lait frais, le produit choisi au Canada est le lait 2 % en format de quatre litres, alors qu'aux États-Unis, il s'agit du format d'un gallon, le tout ramené en prix par litre. Quant au fromage, il s'agit du cheddar en format de 450 à 500 grammes ou une livre, produit communément disponible.

De janvier à avril 2017 (quatre relevés mensuels), le prix du lait était de 1,58 $/litre à Québec et de 1,07 $/l à Toronto. Un premier commentaire s'impose, la gestion de l'offre est en vigueur aussi bien à Toronto qu'à Québec et les prix à la consommation sont fort différents. Il faut dire que pour ce qui est du lait, il existe au Québec une réglementation spécifique du prix au détail qui impose une fourchette de prix dans laquelle peut évoluer le prix du produit. Le prix de 1,58$/l se situe au bas de cette fourchette. En Ontario par contre, rien n'empêche les détaillants d'utiliser le lait comme produit d'appel, c'est-à-dire de le vendre même à perte pour attirer les consommateurs dans leurs magasins. Déjà là, cela jette un doute sur la possibilité d'imputer à la seule gestion de l'offre le fait de constater des prix différents à la consommation. Au même moment, le prix du lait était de 1,19 $US/litre à Washington. Pour le fromage cheddar, les prix étaient alors respectivement de 12,64 $/kg à Québec, 13,24 $/kg à Toronto et 9,35 $US/kg à Washington. Si nous étions en 2012, alors que le dollar canadien était à parité avec celui des États-Unis, on pourrait constater que le prix est plus élevé au Canada. Toutefois, l’observation d’un prix plus élevé pour les produits sous gestion de l’offre n’est pas en soi suffisante pour imputer à cette dernière les écarts observés. Il s’agirait en fait d’un sophisme, d’une déduction logique fallacieuse.

Le prix des produits laitiers à la consommation est plus élevé au Canada qu'aux États-Unis;

Il y a gestion de l'offre au Canada et il n'y en pas aux États-Unis;

C’est donc à cause de la gestion de l'offre si le prix est plus élevé au Canada.

En fait, nous pourrions tout aussi bien dire

Le prix des produits laitiers à la consommation est plus élevé au Canada qu'aux États-Unis;

Il y a un système de santé universel au Canada et il n'y en pas aux États-Unis;

C’est donc à cause du système de santé universel si le prix est plus élevé au Canada.

Pour contrer cette logique fallacieuse, il faut vérifier le prix de denrées alimentaires qui ne sont pas sous gestion de l’offre. Ainsi, si le prix du porc et du pain, par exemple, est similaire entre les deux pays, alors l’argument que la gestion de l’offre explique les écarts de prix devient plus crédible. À l’inverse, si ce n’est pas le cas nous pouvons conclure que la prémisse de départ est fausse.

Ainsi, le prix de la viande de porc à la consommation est aussi plus élevé au Canada : la côtelette de porc se vendait à 9,28 $/kg à Québec contre 5,21 $US/kg à Washington.

Pourtant, il n'y a pas de gestion de l’offre dans le porc, il s'agit d'un marché libre au Canada comme aux États-Unis. Quant au pain blanc tranché, produit dont la matière première ne provient ni du Québec ni de la région de Washington, le prix au détail était respectivement de 4,28 $/kg et 2,26 $US/kg.

Bref, de cette simple observation des prix entre le Canada et les États-Unis, on peut conclure qu’attribuer l’écart de prix observé pour le lait et autres produits sous gestion de l’offre uniquement à la gestion de l'offre repose sur une fausse prémisse. Et la conclusion que certains en tirent, soit que l'abolition de la gestion de l'offre conduirait nécessairement à une baisse des prix au consommateur canadien équivalente à la différence avec les prix américains constitue une fausse promesse.

De plus, nous ne sommes plus en 2012, le dollar canadien n'est plus à parité avec le dollar américain et il ne l'a été que moins de cinq années au cours des 35 dernières. Si la gestion de l'offre est abolie, l'achat de produits laitiers américains se fera au taux de change courant de 1,33 $CAN pour 1 $US. À ce taux, de janvier à avril 2017, le lait était au même prix de 1,58 $CAN/l à Québec et à Washington et il était moins cher à Toronto à 1,07 $/l. Le fromage cheddar était pratiquement au même prix à Québec et Washington, respectivement 12,64 $CAN/kg et 12,42 $CAN/kg. La côtelette de porc, elle, restait plus chère à Québec, 9,28 $/kg contre 6,93 $/kg, de même que le pain à 4,28 $/kg contre 3,21 $/kg.

Rappelons que ces deux derniers produits ne relèvent pas de la gestion de l'offre. De plus, il faudra ajouter les coûts de transport du produit américain vers le marché canadien et accepter de consommer des produits pour lesquels les normes de production ne sont pas les mêmes. Par exemple, les normes environnementales et de bien-être animal sont plus sévères au Canada qu’aux États-Unis, l'injection de la somatotropine (hormone de croissance) aux vaches laitières est interdite au Canada mais permise aux États-Unis, etc.

Par ailleurs, l'avantage de prix peut aussi être à l'inverse pour certains produits : plus cher au Canada qu'aux États-Unis pour des produits sous gestion de l'offre et moins chers pour d'autres produits. Par exemple, toujours sur la même période, le prix des œufs était respectivement de 3,07 $/dz à Québec et de 2,74 $/dz à Washington. Quant aux pommes de terre, elles se vendaient plus cher à Washington : 2,34 $/kg contre 1,54 $/kg. Et des résultats différents pourraient être obtenus pour d'autres périodes de temps, ou pour d'autres villes américaines ou ailleurs dans le monde. Notamment, en Nouvelle-Zélande, pays laitier souvent cité en exemple pour son marché totalement libre et fortement exportateur en produits laitiers, le prix du lait y était de janvier à avril 2017 plus élevé au consommateur qu'il l'est au Québec (1,82 $/l vs 1,58 $/l). Ainsi, il faut se méfier d'une comparaison de prix ponctuelle à un seul moment dans un seul endroit et surtout éviter d'en tirer de grandes conclusions en matière de régulation économique.

Bref, discuter des mérites d'un système de régulation a sa place dans le débat démocratique. Toutefois, en proposer le démantèlement sous de fausses prémisses et de fausses promesses relève de la démagogie. Par exemple, affirmer que les produits laitiers à la consommation se vendent deux fois plus cher au Canada qu'aux États-Unis relève de de la désinformation et n’a rien à voir avec une analyse rigoureuse de la réalité. Que de tels propos proviennent d'un ancienne candidate à la chefferie du Parti libéral du Canada, Martha Hall Findlay, ou d'un actuel candidat à celle du Parti conservateur, Maxime Bernier, a de quoi questionner le niveau de rigueur du débat démocratique.

Cela dit, le système de gestion de l'offre mérite d'être questionné, il est loin d'être parfait et il pourrait être amélioré. Nous souhaitons un débat ancré dans la réalité, fondé sur des faits et non pas sur une position purement idéologique.

Daniel-Mercier Gouin

Professeurs en agroéconomie, Université Laval

Titulaire de la Chaire d'analyse de la politique agricole.

Maurice Doyon

Professeur en agroéconomie, Université Laval

Titulaire de la Chaire économique sur l’industrie des œufs.

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