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S. Bergeron et M. Doyon

La gestion de l’offre, un coût pour les plus pauvres : mythe ou réalité?

En septembre 2016 l’Institut Économique de Montréal (IEDM) a publié un article qui déclare que la gestion de l’offre est un fardeau fiscal pour les populations les plus pauvres. En voici un extrait:

« Une estimation récente indique que, compte tenu des habitudes de consommation, les ménages canadiens faisant partie du quintile le plus pauvre ont payé 339 $ de plus par année que s’il n’y avait pas de gestion de l’offre, ce qui représente 2,29 % de leur revenu. En comparaison, les Canadiens faisant partie du quintile le plus riche ont payé 554 $ de plus, soit à peine 0,47 % de leur revenu. Ceci a pour effet concret de réduire essentiellement beaucoup de ménages à la pauvreté.»

Afin de vérifier la justesse de cette affirmation inquiétante, regardons de plus près ces estimations de coûts ainsi que les hypothèses sous-jacentes. L’hypothèse principale de l’article est que la gestion de l’offre induit des coûts supplémentaires chez le consommateur, car il doit débourser plus pour des produits alimentaires sous gestion d’offre comparativement aux prix payés par nos voisins américains. Les valeurs citées par les auteurs proviennent d’un article paru dans la revue du Canadian Public Policy[1] et représentent un coût annuel de $339 pour les familles les plus pauvres et de $554 pour les familles les plus riches. L’IEDM estime, quant à elle, le coût annuel supplémentaire causé par la gestion de l’offre à $439 pour un consommateur type[2]. L’ensemble de ces estimations se base sur la différence entre les prix de détail au Canada et celui aux États-Unis.

Ce calcul repose sur l’hypothèse que les prix canadiens seraient équivalents aux prix américains en absence de la gestion de l’offre. Les estimations citées précédemment reposent sur les prix au détail de 2011 convertis avec le taux de change de cette période. En 2011, le taux de change était à parité[3], ce qui ne représente pas la tendance historique. En effet, le taux moyen entre 1990 et 2015 est de 0.811 CAD/USD. Le taux de change moyen est plus approprié puisqu’il reflète nettement mieux l’environnement réel dans lequel la gestion de l’offre a évolué au cours des dernières décennies, et non pas une période particulière.

Ainsi, l’estimation à partir des données de 2011 (c.-à-d. $339) repose sur un prix du lait canadien qui est 34% plus élevé que le prix américain. Toutefois, en utilisant les données récentes (avril 2016 à avril 2017) avec les taux de change de la période, cette prime n’est plus que de 5% (Tableau 1). Conséquemment, les estimations des coûts supplémentaires payés par les consommateurs en 2011 ne reflètent pas la réalité des 25 dernières années, mais un cas spécial. Notons que bien que l’écart de prix soit positif pour le lait frais, le fromage cheddar et les œufs, cet écart est négatif pour le yogourt et le beurre (Tableau 1). C’est donc dire que ces produits sous gestion de l’offre coûtent moins cher à Québec qu’à Baltimore.

Une démarche rigoureuse implique de se questionner quant au lien de cause à effet entre les écarts de prix positifs observés au détail et la gestion de l’offre. Est-il possible que d’autres caractéristiques, telle la distance plus grande entre les centres urbains, les coûts d’essences plus élevés et la plus faible densité de population puissent influencer les prix de détails des produits alimentaires au Canada et aux États-Unis?

Un test fort simple consiste à comparer les prix aux détails des produits alimentaires qui ne sont pas sous gestion de l’offre. Si les écarts de prix pour de tels produits sont faibles, cela renforce l’hypothèse que la gestion de l’offre cause les écarts de prix. Par contre, si l’écart de prix est de l’ordre de ceux observés pour les produits sous gestion de l’offre, alors la prémisse de base de l’IEDM ne tient pas la route et la gestion de l’offre ne peut expliquer les écarts de prix positifs.

Le Tableau 1 présente une comparaison de prix pour des aliments qui ne sont pas sous gestion de l’offre (porc, bœuf, carotte et pomme). Les données indiquent que certains produits qui ne sont pas sous la gestion de l’offre, telle que les côtelettes de porc et le bœuf haché, présentent des écarts de prix plus importants que pour les produits sous gestion de l’offre, soit de 33% et 34% respectivement. Bien que ces données ne permettent pas d’identifier les causes des différences de prix observées aux détails, elles nous permettent par contre de conclure que la gestion de l’offre ne peut logiquement pas être la principale cause de ces différences.

Penchons-nous maintenant sur le concept de régressivité (pénalise davantage les plus démunis) utilisé par l’IEDM. Notons d’abord que toute hausse de prix, peu importe le produit, lorsque calculé comme un pourcentage du revenu sera régressive. Pour les familles les plus pauvres (quantile inférieur), le revenu est entre 0$ et 38 754$ comparativement au quantile le plus riche qui représente des familles ayant un revenu supérieur à 125 010$. Ainsi, une hausse d’un dollar a un impact relatif au revenu 3,2 fois plus élevé pour une famille à faible revenu comparé à une famille avec un revenu supérieur. En ce sens, l’inflation est régressive. Seuls l’impôt sur le revenu et les frais de garderie ne sont pas régressifs, puisque modulés selon le revenu. L’IEDM utilise un argument tautologique pour créer un sentiment d’injustice et verse du coup dans la démagogie en concluant que « Ceux et celles qui se préoccupent du triste sort des pauvres devraient réfléchir au fardeau que la gestion de l’offre leur fait supporter. »

En résumé, l’analyse de l’IEDM repose sur une logique fallacieuse qui attribue les écarts de prix observés pour certains produits à la gestion de l’offre alors que des écarts de prix plus importants sont observés pour des produits qui ne sont pas sous gestion de l’offre. L’IEDM fait montre de mauvaise foi en utilisant un taux de change à parité, une situation qui ne s’est produite que 5 fois au cours des 35 dernières années, sans même relever cette particularité. De plus, l’IEDM verse dans le populisme en mettant de l’avant un calcul de régressivité qui est une simple évidence arithmétique, qui s’applique à toutes hausses de tous produits, mais en l’attribuant spécifiquement à la gestion de l’offre.

Le constat est que l’IEDM tente volontairement de fausser le débat public avec une rhétorique douteuse pour avancer une idéologie de droite, et ce, peu importe les conséquences.

Stéphane Bergeron

Professionnel de recherche, Directeur Intelligence de recherche de la Chaire de recherche sur l’industrie des œufs, Université Laval

Maurice Doyon

Professeur et chercheur, titulaire de la chaire de recherche sur l’industrie des œufs, Université Laval

[1] Cardwell, R., Lawley, C., and D. Xiang. 2015. “Milked and feathered: The regressive welfare effects of Canada's supply management regime.” Canadian Public Policy 41(1)

[2] Cette estimation se base sur les besoins nutritionnels des produits sous la gestion de l’offre tel que spécifié dans le guide alimentaire Canadian.

[3] Le taux d’échange utilise dans l’article (voir note 1) est de 1.011 CAD/USD.

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